En Russie, outre les nomades de la taïga, les Evenk comptent aujourd’hui des sédentaires vivant dans des villages ou des villes. La proportion de la population evenk vivant en milieu villageois varie de 10% à 90% selon les régions. Quant à la proportion d'Evenk vivant en milieu urbain, elle est très faible, sauf à Yakoutsk (capitale de la Yakoutie) qui compte près de 2000 Evenk.
Les villages construits à l’époque soviétique sont le plus souvent pluriethniques ; y vivent des Evenk, ainsi que des Chinois ou des Russes. Dans certaines régions, les Evenk ont été totalement sédentarisés et les villageois ne sont plus en contact avec des parents nomades. Chez les Evenk Orochon, les villages servent de plaques tournantes pour les nomades qui gravitent autour, à une distance qui varie de 20 à 300 kilomètres.
La plupart des villageois sont salariés en tant qu’employés d’institutions d’État (poste, école, fermes, centres de soins, centres culturels, etc.) ou de petites entreprises locales (commerces, coopératives familiales), le salaire moyen étant dans les villages Sibériens d’environ 200 euros. Mais la crise économique qui a suivi la chute du communiste a fait croître le chômage de manière inquiétante et nombreux sont ceux qui doivent se contenter des allocations familiales (2,5 euros par mois et par enfant) ou des retraites (150-200 euros par mois). Apparaissent alors différents moyens de subsistance : travaux de couture pour les allochtones, comme la confection d’objets métis (bottes en peaux de renne et à semelles de feutre, chapeau en fourrure, etc.), vente aux allochtones des baies et champignons récoltés près du village, chasse et pêche occasionnelles et, pour quelques-uns, emplois ponctuels dans les villes ou les exploitations minières. Les villageois survivent aussi grâce aux dons de gibier et au produit de la vente des fourrures de leurs parents nomades. Les enfants des familles défavorisées scolarisés en internat y sont nourris, logés et habillés. Parallèlement, une partie des sédentaires retourne régulièrement à la vie nomade. Outre qu’elle est rare, l’aide humanitaire est souvent plus symbolique que suffisante.
Les Evenk des villes sont essentiellement des intellectuels en poste dans les universités, les écoles, les administrations, et les institutions culturelles. On leur doit de nombreux ouvrages de littérature moderne en evenk ou en russe, des travaux ethnographiques, en particulier sur le folklore ; on leur doit aussi une presse écrite, télévisée et radiophonique en evenk (surtout dans l’okrug (terme administratif russe pour "district") autonome evenk (région de Kranoyarsk) et en Iakoutie (République Sakha). Se sentant investis du devoir de sauver les leurs du néant culturel, ils s’affirment dans un rôle de guides spirituels en réorganisant les rituels collectifs interdits dans les années 1930. C’est dans les villes et dans les villages à forte proportion d’Evenk que ces rituels du « retour à la tradition » sont pratiqués avec le plus de régularité.
Par ailleurs, ces milieux intellectuels urbains expriment et revendiquent une identité pan-evenk qui paraît moins significative chez les nomades. Ce sentiment identitaire, bien que ne pouvant être tenu pour nationaliste au sens propre, est à l’origine de la création d’associations evenk dont le but est de conserver la culture, la langue, et les modes de vie traditionnels. L’okrug autonome evenk a aujourd’hui son drapeau (www.evenkya.ru), un site internet, un parlement et une capitale, Tura, et les intellectuels tentent de se faire entendre sur la scène internationale. Mais les villageois ne parviennent pas à trouver d’aide pour soutenir leurs propres projets de petites entreprises ou d'école nomade qui permettraient aux sédentaires comme aux nomades de survivre dans le cadre de la nouvelle économie de marché.
Author(s): A.Lavrillier, 2004 (Base inist CNRS www.necep.net/society.php)