- L’informatique, je l’enseigne en évenk parce que c’est la langue qui est proche de leurs cœurs et ça les décomplexe et ils comprennent mieux. Alors ces manuels-là, il les font en évenk, en anglais et en russe. Parfois en français aussi. 

  -  La création est toujours présente dans l’éducation des enfants nomades ?

 -  Exactement ! On veut apprendre aux enfants des le plus jeune âge que dans la vie il faut créer, que quand ils auront grandi qu’ils n’hésitent pas à créer leur vie, leur avenir. L’ordinateur est utilisé comme un instrument et non comme un but à soi. On ne joue pas à des jeux idiots. Les enfants font eux-mêmes manuels, calendriers, dictionnaires...

  -  Mais il y a quand même des jeux vidéo ?

  -  On a des jeux qui sont éducatifs qui permettent d’offrir un support au programme standard russe. Sous forme des jeux ils s’entraînent à leurs matières scolaires.

   -  Qu’est-ce que vous organisez comme activités extra scolaires ?

   -  On organise beaucoup de petites fêtes selon le calendrier russe. Ce sont des concours avec des jeux russes et évenks ou participent les élèves et leurs parents. Parfois les enfants sont emmenés par les parents à la chasse, сhercher les rennes, etc.... Dans l’avenir j’aimerais beaucoup organiser un voyage de ces enfants dans la ville, à Tynda ou àBlagovechtchensk. Ils ont très envie de connaître de la ville. Donc cette école n’enferme pas les enfants, au contraire, elle leur ouvre une fenêtre...

   -   Ils n’ont jamais vu la ville?

   -   Non.

  -  Et avant votre arrivée et la mise en place de votre projet, est-ce que les enfants nomades suivaient une formation secondaire dans la taïga?

-    Il existait plusieurs écoles nomades dites nomades mais elles ne l’étaient pas. C’est à dire que les enfants s’en vont avec leurs manuels dans la taïga, font plus ou moins leurs devoirs pendant plusieurs mois, reviennent dans un village et passent leurs examens à l’école. Mais ce n’était pas très probant parce que certains parents s’occupaient de leurs enfants et faisaient les cours avec eux, et d’autres pas du tout. L’idée donc est de proposer un enseignement de qualité. Pour cela les professeurs se déplacent et travaillent dans chaque camp.

-   Autant que nous sachions vous avez gagné le prix Rolex pour réaliser votre projet d’école nomade. Est-ce que c’est un bon support pour vous ?

-   C’est un support essentiel ! Car avant on n’avait pas un sou. J’ai essayé pendant six ans de démarcher le Ministère de l’éducation de Yakoutie, mais sans aucun succès. Puis je me suis dit que ça ne marcherait jamais comme ça et j’ai décidé d’aller chercher des sponsors étrangers. D’abord la Banque Mondiale a été d’accord mais ça n’a pas marché pour de diverses raisons assez complexes... Puis un sponsor allemand qui s’appelle « Prosibérien » nous a aidés. C’était vraiment une toute petite somme, mais cela nous a permis de démarrer. Et puis j’ai déposé un dossier à Rolex Awards, et on a gagné ! Ce prix nous permet de maintenir l’école pendant au minimum trois ou cinq ans.

-    Est-ce qu’on pourrait dire que la mise en place de votre projet a donné une nouvelle vie à l’école nomade?

-  Oui, ça a apporté énormément de changements. C’est vrai qu’au départ certains gens du village ont été assez sceptiques. Et je les comprends. Puis j’ai vu qu’ils avaient commencé à nous faire confiance. Ils ont remarqué les efforts faits par leurs enfants. On a de plus en plus de soutien et il me semble que cela est envisagé comme une possibilité à étendre.

En plus, après une large médiatisation de notre projet et le décernement du  prix Rolex je reçois des courriers du monde entier ou il y a des peuples nomades : d’Afrique, d’Inde, du Nord Canada. Ils me demandent des conseils, de partager de mon expérience... On a eu l’idée avec un indigène du Canada du Nord d’organiser une sorte d’échange de communication par internet entre nos enfants. Et c’est tout а fait réalisable car maintenant il y a internet dans le village Oust-Nukja. Finalement, ça a l’air de créer une émulsion…

-   Et pour vous personnellement, qu’est-ce que c’est que cette école nomade? C’est déjà plus qu’un simple projet?

      En tant que scientifique anthropologue je dois beaucoup aux Évenks de toute cette énorme quantité de matériel qu’ils m’ont donnée, de la chaleur avec laquelle ils m’ont accueillie. J’admire énormément leur culture, je sais qu’elle  est en danger et j’ai envie de faire quelque chose dans l’espoir qu’elle ne disparaisse pas! Les enfants évenks sont absolument adorables, ils sont extrêmement doués, mais ils n’ont pas toujours la possibilité d’aller à l’école du village. L’école nomade leur donne la possibilité de s’ouvrir et de se réaliser au maximum de leurs capacités.